Écrivain samouraï ou ninja ?

« Toute concentration sur un point est une déconcentration sur le reste. »
Maître Henry Plée, dans Chroniques martiales, Chronique : le vrai karate-do

Toshiro Mifune dans Yojimbo

Depuis plusieurs semaines, je traverse une crise face à mon traitement de texte. Ce n’est pas le syndrome de la page blanche, mais plutôt le contraire : une sorte de frénésie d’écriture qui m’amène à commencer plusieurs projets simultanément, les idées foisonnant dans mon cerveau en ébullition sans pouvoir s’arrêter. Résultat : je commence plein de textes, mais je n’en termine aucun.

Je cherche ma voix, ou peut-être ma voie ?

Tel un pratiquant d’arts martiaux, un écrivain doit s’interroger sur la finalité de son entraînement (au dojo ou devant son écran), car – j’ose la comparaison pour la beauté du geste – il est confronté à un choix semblable à celui qui s’entraîne au combat : veut-il devenir samouraï ou ninja ?

Un samouraï obéit à un code d’honneur et son entraînement est entièrement tourné vers le duel. Il utilise pour cela une arme peu adaptée, le sabre courbe (katana), initialement prévu pour la cavalerie, et est muni d’une lourde et encombrante armure qui ne lui couvre pas les jambes et l’entre-cuisse, mais ce n’est pas si grave, puisqu’attaquer les jambes ne se fait pas quand on suit les conventions.

Un ninja ne respecte pas les conventions : il se fiche éperdument du code des samouraï, utilise un sabre droit et est expert en coups de Jarnac. Seule compte l’efficacité face à un ou plusieurs adversaires.

Mais que signifie « efficacité » en littérature ? À mon avis, il y a plusieurs façons de l’envisager : on peut viser les ventes, l’argent, et il faut pour cela écrire un best-seller ou être une « célébrité » ; on peut vouloir être reconnu par une élite et écrire pour le prix Goncourt, ou par un cercle de lecteurs plus ou moins large, les amateurs de fantasy, par exemple ; on peut également tenter une expérience personnelle, qui n’a pas pour objectif premier de plaire (ou déplaire) à un lectorat, et on écrit donc ce que l’on veut, quitte à ne pas être publié, en se focalisant sur son art (mais on ne peut alors pas parler d’efficacité, me semble-t-il). Quel que soit l’objectif, il y a une manière de l’atteindre (ou pas), et c’est ce qui fait la différence entre le budo du samouraï et le jutsu du ninja.

Je m’entraîne chaque jour à écrire un roman qui soit « publiable ». Je ne suis pas à la recherche de la perfection comme pourrait l’être un élève de iaïdo lorsqu’il dégaine son sabre – je ne doute pas que certains écrivains le soient – je suis juste en quête de l’aboutissement de mon projet, et en ce moment, je patauge ! J’ai l’impression que mon esprit s’égare, que j’ai perdu de vue l’objectif initial et c’est pourquoi je m’interroge sur les finalités de mon expérience d’écriture (qui a commencé il y a maintenant six mois).

Il semble facile de dire qu’un écrivain n’a qu’à avoir une idée en tête et la coucher sur le papier. En somme, cela se résume à peu près à cela. Le problème, c’est que lorsqu’on est chaque jour confronté à ces pages à remplir, à ces mots à trouver, à cette histoire qui nous trotte dans la tête jusqu’à n’en plus dormir, on finit par se poser des questions : et si mes mots n’étaient pas les bons ? Cette histoire n’est-elle pas finalement grotesque ? Pourquoi écrire de la fantasy, après tout, je suis aussi capable d’écrire un bon polar ?

J’en suis à ce niveau-là de tourmente, complètement paumée dans mes projets éparpillés, toutes mes envies d’écriture inachevées, lorsque je me rappelle mes années d’entraînement sur les tatamis : comme il était facile alors de suivre la voie du maître ! Le plus dur se résumait à la partie physique : tenir le coup, se relever après une blessure. Car finalement, le mental était soutenu par une force supérieure : la foi en ce que j’apprenais et en celui qui me l’enseignait.

Puis il y eut l’étape de la remise en question : pourquoi cet autre professeur n’était-il pas d’accord avec le mien ? Qu’est-ce que j’apprenais au final ? Et pourquoi ? Je crois que j’en suis là en ce qui concerne l’écriture. J’ai démarré bille en tête, persuadée que je suivais la bonne direction, et au fil de ma progression, je me suis rendue compte que je n’étais peut-être pas sur la bonne voie. Peut-être. Car c’est bien cela la difficulté : le doute.

J’aimerais être un samouraï, suivre un code d’honneur au jour le jour, me battre en duel contre ma page blanche, je n’aurais qu’à m’entraîner à aligner les mots encore et encore, sans me poser de questions, et faire seppuku (hara-kiri) si nécessaire. Mais je crois que je suis plutôt ninja, beaucoup moins honorable, affrontant plusieurs adversaires en même temps, tentant par tous les moyens d’arriver à mes fins. Seulement pour l’instant, je trace ma route dans le brouillard, je n’ai pas encore trouvé les bonnes armes ni la bonne approche. Il ne me reste qu’une chose à faire : continuer à chercher.

6 thoughts to “Écrivain samouraï ou ninja ?”

  1. Et beh, c’est quoi ces doutes ?? Ils sont sans doute normaux ou tout simplement humains. La multitude de projet n’est pas un problème en soi, tout est sans doute une question de « hiérarchie » de ces projets, entre le projet principal du bouquin, les projets « secondaires » de prises d’expérience au travers des nouvelles diverses que tu écris et… les projets récréatifs permettant de s’aérer tout simplement… récréatifs mais pas inutiles car ils font sans doute foisonner les idées pour les autres projets…
    Donc voilà, je te souhaite plein de courage pour la suite et te redis tout le respect que j’ai pour ton projet. Courage et respect… 2 éléments vitaux de arts martiaux également… 😉
    Bizz
    Rurik, nain (définitivement) samouraï

  2. Cette période de questionnements ne m’étonne pas vraiment, mais il faut que j’arrive à m’en dépêtrer. La multiplicité des projets est à la fois une joie pour moi et un souci : j’aime varier les plaisirs et le boulot, mais je suis parfois frustrée de ne pas avancer assez vite.
    En ce moment, le problème est pire : je me demande si je suis sur la bonne voie en ce qui concerne le roman. J’ai écris environ 80 pages (en se basant sur un format poche) avec une impression de difficulté à avancer que je n’ai pas quand j’écris une nouvelle : j’ai des doutes sur l’intrigue et sur le style (je pense que mes persos sont corrects, c’est déjà ça !). Du coup, je me lance dans d’autres écrits pour ne pas avoir à continuer le principal…

    En tout cas, merci pour tes encouragements, Rurik !

    Je ne savais pas que les nains avaient un code d’honneur… 🙂 Il consiste en quoi ?

  3. Je ne serai ni samouraï, ni ninja. Non pas que je ne les admire pas tous les deux, mais parce que je me compare souvent à un électron libre qui aura parfois une rigueur qui m’étonne moi-même ou parfois une folie qui me dépasse.
    La rigueur c’est quand j’éteins mon ordinateur et que je suis satisfaite (surtout quand je me suis imposée de ne pas écrire, mais de corriger mes chapitres et que j’ai respecté ma ligne de conduite).
    La folie c’est quand mes pensées déroulent sous mon clavier et que j’ai l’impression de ne plus rien maîtriser.
    Contrairement à toi, je n’essaie pas que mes écrits soient publiables. J’écris, en premier lieu, pour moi, puis pour mon comité de lecture me recadre. Actuellement, j’écris des nouvelles pour améliorer mon style, tenter de changer le caractère de mes personnages pour mon prochain roman.
    Tu ne dois pas t’inquiéter de l’ébullition de ton cerveau, je suis dans le même état que toi. C’est pour cela que je me suis mise à écrire les nouvelles qui hantaient mes neurones depuis bien longtemps. Cette pause m’est bénéfique et m’apaise.
    Ne t’affole pas Léa, je suis certaine que tu parviendras à trouver la clé qui te permettra de continuer ton roman. Ne te pose plus de question et fonce !
    Bon week-end 🙂 et n’hésite pas à venir m’en parler si tu as besoin 😉
    Dyane mi ange mi démon :p

    1. Ta rigueur dans les corrections est précieuse car c’est une partie du boulot pas souvent agréable et, pour moi, toujours fastidieuse ! 🙂
      Quant à ton grain de folie, il est tout autant nécessaire ! Je n’ai pas cette impression de ne plus rien maîtriser par moments, mais parfois, l’histoire est fluide, se déroule naturellement et les interactions entre les personnages se font d’elles-mêmes de façon logique en me surprenant même.
      Chacun a ses raisons d’écrire et elles peuvent être personnelles, mais il me semble qu’une bonne histoire doit être partagée, et comment le faire sans la publier ? À moins de se tourner vers l’oral, mais c’est un tout autre chemin…

      Merci aussi pour tes encouragements, Dyane, et bonne continuation pour ton roman angélique… et tes autres projets diaboliques !

  4. – Un bon gobelin est un gobelin mort
    – Un bon elfe est un elfe assommé (et encore…)
    – Un bon marteau de guerre est dans la tête d’un des 2 précédents
    – Une bonne bière est… euh… elle est où… QUI A PIQUE MA BIERE !!! PATRON, LA MÊME CHOSE !!

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